September 7, 2009

Difficultés de Pôle Emploi (2): "Le changement a été imposé et non accompagné"

Alors que Christian Charpy tente de convaincre les Français de l'amélioration de la situation à Pôle Emploi, nous poursuivons notre entretien en profondeur avec Sabine*, chef de projet au sein de la nouvelle organisation, avec la volonté d'apporter un éclairage de gestionnaires du changement sur la mise en oeuvre de la fusion. Après une première partie axée sur le constat des difficultés, voici la seconde partie. Le résumé de l'ensemble de l'entretien est disponible ici.

Partie 2: Causes et Remèdes

CL : La complexité du contexte que tu as évoquée précédemment, suffit-elle à expliquer toutes les difficultés de Pôle Emploi?

S : l’injonction politique ne favorise pas l’adhésion, c’est le premier constat que l’on peut faire en matière de gestion du changement. Le changement a été imposé et non accompagné. La matière nécessaire existait sous la force de rapports gouvernementaux, mais elle n’a pas été utilisée pour expliquer la nécessité du changement au personnel de pole emploi. Manque de temps ? Certainement, mais aussi, du moins du côté de l’ex-ANPE, une habitude du fonctionnement par injonction. Or il y a une différence entre être aux ordres du gouvernement lorsqu’il s’agit de la mise en place d’une nouvelle mesure de l’Etat et être aux ordres lorsqu’il s’agit du devenir de son propre emploi.

Du côté de l’ex-ASSEDIC les syndicats ont pris la main dès le début et le rapport de force s’est immédiatement enclenché. Une communication forte sur le sens de ce changement a bien été initiée par Christian Charpy mais elle a , à mon sens, été insuffisamment relayée et accompagnée sur le territoire par l’ensemble du management. L’adhésion au changement, ou du moins la compréhension à minima, de la nécessité de changer n’ayant pas été obtenue, la suite est difficile.

Des groupes de travail et de réflexion par sujet et par projet ont été formés avec des personnes jugées clés dans l’organisation, des propositions ont été faites, ces groupes concernaient principalement des encadrants à tous niveaux mais peu ou pas de conseillers. Il y a donc eu peu d’implication de la base dans le changement. Mais était-ce possible avec une population aussi importante et dispersée sur le territoire sachant que l’encadrement de proximité était en fort questionnement sur son devenir (les processus de nominations sont encore en cours à certains endroits) ?

Pour autant on constate que les projets avancent, toutefois pas à la vitesse souhaitée vu le manque d’implication de l’ensemble des personnes concernées, la lenteur de nomination des décisionnaires et la lourdeur d’une hiérarchie pléthorique. C’est principalement ce qui explique notre lenteur actuelle.

CL : Parlons justement de la communication, dont tu as commencé à évoquer les bonnes intentions mais aussi les carences : comment la direction a-t-elle tenté de vendre le changement? Quels principaux messages essaye-t-on, sans grand succès apparemment, de faire passer, et par quels moyens?

S: Nous travaillons pour l’Etat il y a donc eu avant tout une communication par l’Etat, en d’autres termes nous avons appris par le président de la république, en même temps que tous les français et les autres, que l’Etat organisait la fusion de l’ASSEDIC avec l’ANPE. Ce n’était pas une surprise dans la mesure ou les différents rapports dont j’ai parlé précédemment nous avait indiqué que l’Etat réfléchissait à cette question.

Les deux dirigeants, côté ASSEDIC et côté ANPE, ont ensuite informé directement soit en réunion et séminaires pour les plus hauts niveaux soit par le biais de conférences téléphoniques pour les autres, l’ensemble de la ligne managériale. Toutes les questions ont pu être posées, même si toutes les réponses ne pouvaient être apportées à ce stade pour des raisons évidentes.

Dès ce moment la communication s’est grippée. En effet il était évident qu’un plan de mise en œuvre, au moins dans ses grandes lignes, était déjà préparé mais ce programme n’a pas été livré en transparence, il est apparu au fur et à mesure du temps. Il était impossible de livrer certaines informations d’entrée dans la mesure ou, s’agissant du côté Assedic d’un organisme paritaire, trop divulguer aurait probablement conduit à ne pas faire la fusion. Toutefois cette non divulgation a créé au sein du personnel un climat de méfiance peu favorable à la fusion.

Cette méfiance était alimentée par deux autres éléments :

- d’une part le premier niveau managérial, à savoir ce qu’on pourrait qualifier de responsables d’équipes de part et d’autre, n’avait pas eu accès à l’information délivrée par les dirigeants et se retournaient donc vers les syndicats comme principale source d’information.

- D’autre part, les syndicats très puissants du côté Assedics et reconnus comme relais d’information rapide du côté Anpe ont été les premiers, et souvent les seuls, à livrer leur analyse au personnel.

Cette première étape de communication étant passée, les directeurs régionaux ont été nommés par région selon un ratio approximatif de 1 poste pour 2,5 personnes. Pendant toute la deuxième partie de l’année 2008 nous avons donc vu cohabiter 3 systèmes par région et parfois 4 lorsqu’une région Anpe comprenait 2 régions Assedics : les structures hiérarchiques par région et par structure, plus l’instance provisoire dirigée par le futur nouveau directeur régional.

Des groupes de travail ont été mis en place afin de faire participer les différents niveaux de management aux décisions pratiques d’organisation. Cette fois le premier niveau de management a été inclus mais dans des proportions faibles par rapport au groupe de personnes concernées. Les conseillers Anpe et les agents Assedics n’étaient pas représentés. Leur seule possibilité d’expression était donc la voie syndicale ce qui a considérablement contribué à la prise de pouvoir par les syndicats à laquelle on assiste depuis le début de l’année. Tous les freins légaux concernant la consultation des instances représentatives du personnel sont clairement utilisées pour freiner le processus de mise en place des sites mixtes. Les syndicats souhaitent évidemment associer cette mise en place à la négociation sur la nouvelle convention collective s’appliquant à Pole Emploi.

Par ailleurs la mise en place d’un intranet commun et d’outils de travail communs est particulièrement lente. L’intranet commun, donc source d’information officielle, ne verra réellement le jour qu’à la rentrée de septembre alors que la fusion est faite depuis décembre dernier ! Les informations devraient être distribuées par voie hiérarchique mais le nombre de niveaux d’encadrement étant quasi multiplié par deux les informations mettent beaucoup plus de temps à parvenir aux intéressés. Les syndicats n’ont pas ce genre de problème pour faire parvenir leur analyse des décisions prises. Or depuis janvier l’instance provisoire n’existe plus, les groupes de travail se réduisent à la préparation des sites mixtes, les personnels ont donc l’impression d’être dépossédés de la possibilité de participer aux changements en cours.

CL : Tu nous a parlé en première partie de la raison principale de la fusion: un saut qualitatif pour les demandeurs d’emploi. Le salarié Pôle Emploi, malgré toutes les difficultés mentionnées, a-t-il lui une idée des avantages qu’il pourrait personnellement tirer du changement? Quels pourraient être ces avantages?

S: Encore une fois, il faut distinguer le salarié de droit public issu de l’ex-ANPE du salarié de droit privé issu de l’ex-ASSEDIC.

En ce qui concerne le salarié de droit public : à l’issue des négociations qui risquent de durer encore jusqu’à fin 2010, le bilan devrait être positif : soit un alignement des salaires sur la même base que les ex-ASSEDIC (la différence moyenne de salaire à type de poste équivalent correspond à un différentiel net d’environ 400€/500€ mois, plus un treizième mois et l’équivalent d’un quatorzième mois). Toutefois une peur diffuse existe au sein des salariés ex-ANPE au sujet de leur sécurité de l’emploi. En effet le statut actuel, bien que n’étant pas un statut de fonctionnaire de l’Etat, leur donnait l’illusion d’une certaine sécurité : de fait, il fallait commettre des fautes de l’ordre du droit pénal pour qu’une sanction soit envisagée et la non compétence professionnelle ou le manque de productivité ne faisait pas l’objet de mesures de licenciement. Toutefois il est à noter que, dans le statut, le licenciement était prévu au même titre que dans toute société privée et rien, si ce n’est la culture d’entreprise, n’empêchait théoriquement ce genre de procédure d’être utilisée.

Par ailleurs, un groupe de cadres « à potentiel » avait été identifié au sein de l’ANPE et espérait trouver sa place qu sein de la nouvelle structure. Hors le nombre de cadres à reclasser était tel qu’il a fallu créer des postes parfois de l’ordre de la poésie pure pour tous les placer et laisser à leur poste actuel la quasi totalité de ces potentiels identifiés, faute de place. Ce constat est valable pour les cadres et pour les potentiels identifiés à tous les niveaux de l’organisation. L’ensemble du personnel et une partie de l’encadrement coté ex-ANPE se trouvent donc perplexes par rapport à cette fusion et n’en identifient pas le bénéfice pour eux.

En ce qui concerne le salarié de droit privé, à savoir le salarié ex-ASSEDIC : clairement ce salarié n’a rien à gagner à la fusion, il doit s’adapter à une nouvelle culture, apprendre un nouveau métier, sans obtenir une augmentation salariale, au contraire, les augmentations risquent de devenir plus difficiles à obtenir dans une organisation aussi nombreuse comportant des compétences aussi diversifiées. Certains y voient la possibilité d’un développement de leurs compétences et une ouverture pour leur carrière mais cela ne concerne qu’une minorité de personnes.

CL : Difficile donc de mener le changement s’il n’est ni clair ni valorisant pour ses acteurs, hormis une compensation financière pour une partie d’entre eux, qui est, on le sait, coûteux mais pas toujours efficace. Je te propose un petit exercice que tu connais sans doute : sur la courbe du changement ci-dessous, où placerais-tu les salariés de Pôle Emploi (en différenciant si nécessaire des groupes de ton choix, par exemple ex-Assedic/ex-ANPE) ?


S:

GROUPE 1 (les ex-ASSEDIC) se situent globalement entre la phase déni et la phase colère ce qui est très gênant pour la production. Ils n’ont aucun attachement identifié à l’ex-ASSEDIC en tant qu’entreprise, mais ils perçoivent et refusent le côté « plus de travail sans compensation salariale!

GROUPE 2 (les ex-ANPE) : se situent globalement entre la phase négociation et la phase dépression, en d’autres termes ils négocient en étant déprimés car ils craignent de perdre leur motivation pour ce métier (l’attachement à l’ex-ANPE est très fort, le salaire n’est pas leur principale motivation)!

CL : Pour résumer, nous avons donc des salariés qui n’adhèrent pas au changement, n’en voient pas les bénéfices, ne se sentent pas impliqués, manquent pour l’instant de vision de l’organigramme définitif, n’acquièrent pas suffisamment rapidement les compétences demandées, manquent d’informations de la hiérarchie, doivent faire face à une surcharge de travail et doivent pour certains changer de culture: un cocktail explosif de résistance au changement, qui a tout le temps de faire des dégâts avec les lenteurs du processus de mise en œuvre. Selon toi, y-a-t-il des choses que les responsables et acteurs du changement doivent faire différemment pour amener le bateau à bon port ? Si oui lesquelles ?

S: Nous avons besoin de premiers éléments de réussite pour donner l’impulsion : la mise en place réelle de 20 à 30% de sites mixtes fonctionnant vraiment par région serait un signe encourageant donné au réseau. A partir de là les directions pourraient commencer à communiquer à leurs troupes de façon positive et avancer. C’est la stratégie adoptée en ce moment : la mise en place de sites mixtes coûte que coûte ; le premier but est un affichage politique, mais le bénéfice serait réel en matière de gestion du changement : prouver que cela peut marcher. Le risque d’échec est toutefois réel, avec des portefeuilles de conseillers à plus de 200 Demandeurs d’emploi, ce que personne ne peut gérer. Hormis l’assouplissement du suivi mensuel personnalisé annoncé par Christian CHARPY, la condition du succès est de remettre à plat en même temps toutes les organisations par région afin de faciliter le processus : ce point ne peut s’envisager que dans le cadre d’un passage en force puisque les organisations syndicales sont freinantes sur tout.

La première difficulté est d’identifier un groupe moteur de personnes qui ont envie d’avancer et sont moteurs pour le changement. Cette identification est en route actuellement. La seconde difficulté est de ne pas perdre en route la masse des indécis (forte communication syndicale) or pour l’instant on constate une forte communication et un début d’appui concret aux managers, mais pas de communication forte vers l’ensemble du personnel, la direction semble continuer à subir la communication et la relation avec les syndicats et ne prends pas le leadership dans la communication, ce qui serait pourtant une base essentielle.

Par ailleurs, rétablir la crédibilité du processus de fusion passera également par le rééquilibrage de l’activité entre la gestion du client demandeur d’emploi qui représente actuellement 90% de l’activité et la gestion du client entreprise, activité réduite à sa plus simple expression. Or, quel est le premier service à rendre par un conseiller lorsqu’il reçoit un demandeur d’emploi ? Lui proposer des offres d’emploi puisque, rappelons le, les activités de Pole emploi sont l’indemnisation et le placement…surtout le placement pour diminuer le volume des indemnisations.

Donc résumons-nous :

- une première série de sites mixtes par région fonctionnant réellement

- une reprise en main de la communication par le management au niveau de chaque région

- une mise à plat des organisations par décision unilatérale de la direction Pole emploi suite à l’allègement du suivi mensuel des demandeurs d’emploi afin que l’allègement génère une meilleure efficacité

- un rééquilibrage de l’activité entre la gestion du demandeur d’emploi et la recherche d’offres d’emploi

(aucune notion de chronologie dans cette liste)


CL: espérons que les décideurs prennent connaissance de ces préconisations! Un grand merci à toi Sabine pour avoir pris le temps de répondre, si pleinement et pertinemment, à mes questions.

* Pour raisons de confidentialités, Sabine est un nom d'emprunt. Toute coincidence avec une personne réelle serait erronée.

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