September 24, 2009

Les Acteurs du Changement: Sabine, Chef de Projet Pôle Emploi

Version courte de l'entretien publié en 2 parties les 18/06 et 07/09

"Lorsqu'un paquebot coule, normalement on saute à la mer, non?". C'est précisément en ces termes, que Sabine, chef de projet au sein de la direction service clients partenariats de Pole Emploi, nous avait exprimé ses inquiétudes au sujet de la fusion Assedic-ANPE, dont les difficultés apparaissent désormais dans la presse. L'occasion était toute choisie pour lui demander de nous livrer son témoignage et son analyse de professionnelle du changement sur cet énorme chantier humain, organisationnel et culturel.

Christophe Lastennet (CL): Sabine, avant d’aborder les difficultés actuelles de Pôle Emploi, peux-tu nous rappeler en quoi consiste cette fusion?

Sabine : Avant de répondre à cette question il me parait utile de savoir de quelles entreprises nous parlons. D’un coté nous avons un établissement privé paritaire, de l’autre nous avons un établissement sous statut public spécifique.

L’ASSEDIC est une Assurance chômage dont les salariés sont de droit privé, et dont les missions sont d'affilier les employeurs, de recouvrer les contributions, d'assurer l’inscription administrative les demandeurs d'emploi pour le compte de l'ANPE, de verser les prestations du régime d'Assurance chômage, du régime de solidarité et les aides à l'emploi au titre du régime d'Assurance chômage et des dispositifs confiés par l'État.

L'Agence Nationale Pour l'Emploi est un établissement public ayant pour mission d'intervenir sur le marché du travail en assistant d'une part les personnes à la recherche d'un emploi, d'une formation ou d'un conseil professionnel pour favoriser leur reclassement ou leur promotion professionnelle et, d'autre part, les employeurs pour l'embauche et le reclassement de leurs salariés.

L’objectif de regrouper en une même entreprise ANPE et l’ASSEDIC est multiple :

- réduire le temps de traitement des dossiers entre les deux institutions afin d’aider plus rapidement les demandeurs d’emploi dans leurs recherches

- mettre plus rapidement à disposition les compétences disponibles aux employeurs en recherche et du coup améliorer le positionnement de Pole Emploi auprès des employeurs (la part de marché est incroyablement faible)

- S’aligner sur ce qui se fait au niveau européen en matière de gestion des demandeurs d’emploi : Allemagne, Royaume Uni, Espagne….regroupant dans un même service l’indemnisation, le contrôle et l’aide à la recherche pour les demandeurs d’emploi.

CL : On parle aujourd’hui dans la presse de grosses difficultés de mise en œuvre, de lacunes dans le service aux demandeurs d’emploi et de frustration grandissante en interne. Toi qui connaît bien la maison ANPE pour y avoir exercé différentes responsabilités opérationnelles et fonctionnelles, quelle est ta vision quotidienne de ce chantier ?

S : Plusieurs chantiers sont menés en parallèle :

- le premier a été, et est toujours, le rapprochement des services téléphoniques : le succès n’est pour l’instant pas complètement au rendez-vous

- le chantier le plus visible et le plus évident pour le public est celui de la mise en place des sites mixtes : il s’agit de regrouper en une offre de service commune les anciennes agences ANPE et les sites ASSEDIC traitant l’indemnisation.

- Le chantier définition et partage de la stratégie de Pole emploi et de l’offre de service afférente n’est pas encore terminée sur tout le territoire.

- Le chantier ressources humaines est également mené en parallèle : la fusion des équipes se fait par palier car la consultation des instances syndicales nécessite des délais et fait souvent l’objet de blocage. Tous les sites mixtes par exemple n’ont pas encore leur manager en titre et continuent à avoir deux hiérarchies locales,

- Le chantier technique sur l’harmonisation des systèmes informatiques commence à peine.

Je dirais que globalement nous gérons en même temps les injonctions politiques de mise en œuvre rapide nécessitant l’affichage, pour le public, d’une production de service fusionné et la construction réelle de la fusion : en d’autres termes il faut réfléchir en marchant et en négociant avec les syndicats, dans une structure mouvante, le tout sous la pression politique. Vaste challenge pour Christian Charpy !

CL : La complexité de ce contexte que tu as évoquée, suffit-elle à expliquer toutes les difficultés?

S : l’injonction politique ne favorise pas l’adhésion, c’est le premier constat que l’on peut faire en matière de gestion du changement. Le changement a été imposé et non accompagné. La matière nécessaire existait sous la force de rapports gouvernementaux, mais elle n’a pas été utilisée pour expliquer la nécessité du changement au personnel de pole emploi.

Du côté de l’ex-ASSEDIC les syndicats ont pris la main dès le début et le rapport de force s’est immédiatement enclenché. Une communication forte sur le sens de ce changement a bien été initiée par Christian Charpy mais elle a , à mon sens, été insuffisamment relayée et accompagnée sur le territoire par l’ensemble du management.

Des groupes de travail et de réflexion par sujet et par projet ont été formés avec des personnes jugées clés dans l’organisation, des propositions ont été faites, ces groupes concernaient principalement des encadrants à tous niveaux mais peu ou pas de conseillers. Il y a donc eu peu d’implication de la base dans le changement. Mais était-ce possible avec une population aussi importante et dispersée sur le territoire sachant que l’encadrement de proximité était en fort questionnement sur son devenir (les processus de nominations sont encore en cours à certains endroits) ?

Pour autant on constate que les projets avancent, toutefois pas à la vitesse souhaitée.

CL : Parlons justement de la communication, dont tu as commencé à évoquer les bonnes intentions mais aussi les carences : comment la direction a-t-elle tenté de vendre le changement? Quels principaux messages essaye-t-on, sans grand succès apparemment, de faire passer, et par quels moyens?

S: Après l’annonce de la fusion par le président de la république, les deux dirigeants, côté ASSEDIC et côté ANPE, ont informé l’ensemble de la ligne managériale. Dès ce moment la communication s’est grippée. En effet, le plan de mise en œuvre, déjà préparé au moins dans ses grandes lignes, n’a pas été livré en transparence. En effet, l’Assedic étant un organisme paritaire, trop divulguer aurait probablement conduit à ne pas faire la fusion. Toutefois cela a créé au sein du personnel un climat de méfiance peu favorable à la fusion.

Cette première étape de communication étant passée, les directeurs régionaux ont été nommés par région selon un ratio approximatif de 1 poste pour 2,5 personnes. Pendant toute la deuxième partie de l’année 2008 nous avons donc vu cohabiter 3 systèmes par région et parfois 4 lorsqu’une région Anpe comprenait 2 régions Assedics.

Des groupes de travail ont été mis en place afin de faire participer les différents niveaux de management aux décisions pratiques d’organisation. Cette fois le premier niveau de management a été inclus mais dans des proportions faibles. Les conseillers Anpe et les agents Assedics eux n’étaient pas représentés. Leur seule possibilité d’expression était donc la voie syndicale ce qui a considérablement contribué à la prise de pouvoir par les syndicats. Tous les freins légaux concernant la consultation des instances représentatives du personnel sont clairement utilisées pour freiner le processus.

Les informations devraient être distribuées par voie hiérarchique mais le nombre de niveaux d’encadrement étant quasi multiplié par deux les informations mettent beaucoup plus de temps à parvenir aux intéressés. Les syndicats n’ont pas ce genre de problème pour faire parvenir leur analyse des décisions prises. Or depuis janvier l’instance provisoire n’existe plus, les groupes de travail se réduisent à la préparation des sites mixtes, les personnels ont donc l’impression d’être dépossédés de la possibilité de participer aux changements en cours.

CL : Tu nous a parlé en première partie de la raison principale de la fusion: un saut qualitatif pour les demandeurs d’emploi. Le salarié Pôle Emploi, malgré toutes les difficultés mentionnées, a-t-il lui une idée des avantages qu’il pourrait personnellement tirer du changement? Quels pourraient être ces avantages?

S: Encore une fois, il faut distinguer le salarié de droit public issu de l’ex-ANPE du salarié de droit privé issu de l’ex-ASSEDIC.

En ce qui concerne le salarié de droit public : à l’issue des négociations qui risquent de durer encore jusqu’à fin 2010, le bilan devrait être positif : un alignement des salaires sur la même base que les ex-ASSEDIC. Par ailleurs, un groupe de cadres « à potentiel » avait été identifié au sein de l’ANPE et espérait trouver sa place au sein de la nouvelle structure. Hors le nombre de cadres à reclasser était tel qu’il a fallu créer des postes parfois de l’ordre de la poésie pure pour tous les placer et laisser à leur poste actuel la quasi totalité de ces potentiels identifiés, faute de place.L’ensemble du personnel et une partie de l’encadrement coté ex-ANPE se trouvent donc perplexes par rapport à cette fusion et n’en identifient pas le bénéfice pour eux.

En ce qui concerne le salarié de droit privé, à savoir le salarié ex-ASSEDIC : clairement ce salarié n’a rien à gagner à la fusion, il doit s’adapter à une nouvelle culture, apprendre un nouveau métier, sans obtenir une augmentation salariale, au contraire, les augmentations risquent de devenir plus difficiles à obtenir dans une organisation aussi nombreuse comportant des compétences aussi diversifiées. Certains y voient la possibilité d’un développement de leurs compétences et une ouverture pour leur carrière mais cela ne concerne qu’une minorité de personnes.

CL : Difficile donc de mener le changement s’il n’est ni clair ni valorisant pour ses acteurs, hormis une compensation financière pour une partie d’entre eux, qui est, on le sait, coûteux mais pas toujours efficace. Je te propose un petit exercice que tu connais sans doute : sur la courbe du changement ci-dessous, où placerais-tu les salariés de Pôle Emploi (en différenciant si nécessaire des groupes de ton choix, par exemple ex-Assedic/ex-ANPE) ?



S:

GROUPE 1 (les ex-ASSEDIC) se situent globalement entre la phase déni et la phase colère ce qui est très gênant pour la production. Ils n’ont aucun attachement identifié à l’ex-ASSEDIC en tant qu’entreprise, mais ils perçoivent et refusent le côté « plus de travail sans compensation salariale!

GROUPE 2 (les ex-ANPE) : se situent globalement entre la phase négociation et la phase dépression, en d’autres termes ils négocient en étant déprimés car ils craignent de perdre leur motivation pour ce métier (l’attachement à l’ex-ANPE est très fort, le salaire n’est pas leur principale motivation)!

CL : Pour résumer, nous avons donc des salariés qui n’adhèrent pas au changement, n’en voient pas les bénéfices, ne se sentent pas impliqués, manquent pour l’instant de vision de l’organigramme définitif, n’acquièrent pas suffisamment rapidement les compétences demandées, manquent d’informations de la hiérarchie, doivent faire face à une surcharge de travail et doivent pour certains changer de culture: un cocktail explosif de résistance au changement, qui a tout le temps de faire des dégâts avec les lenteurs du processus de mise en œuvre. Selon toi, y-a-t-il des choses que les responsables et acteurs du changement doivent faire différemment pour amener le bateau à bon port ? Si oui lesquelles ?

S: Nous avons besoin de premiers éléments de réussite pour donner l’impulsion : la mise en place réelle de 20 à 30% de sites mixtes fonctionnant vraiment par région serait un signe encourageant donné au réseau. A partir de là les directions pourraient commencer à communiquer à leurs troupes de façon positive et avancer. C’est la stratégie adoptée en ce moment : la mise en place de sites mixtes coûte que coûte ; le premier but est un affichage politique, mais le bénéfice serait réel en matière de gestion du changement : prouver que cela peut marcher. Le risque d’échec est toutefois réel, avec des portefeuilles de conseillers à plus de 200 Demandeurs d’emploi, ce que personne ne peut gérer. Hormis l’assouplissement du suivi mensuel personnalisé annoncé par Christian CHARPY, la condition du succès est de remettre à plat en même temps toutes les organisations par région afin de faciliter le processus : ce point ne peut s’envisager que dans le cadre d’un passage en force puisque les organisations syndicales sont freinantes sur tout.

La première difficulté est d’identifier un groupe moteur de personnes qui ont envie d’avancer et sont moteurs pour le changement. Cette identification est en route actuellement. La seconde difficulté est de ne pas perdre en route la masse des indécis (forte communication syndicale) or pour l’instant on constate une forte communication et un début d’appui concret aux managers, mais pas de communication forte vers l’ensemble du personnel, la direction semble continuer à subir la communication et la relation avec les syndicats et ne prends pas le leadership dans la communication, ce qui serait pourtant une base essentielle.

Par ailleurs, rétablir la crédibilité du processus de fusion passera également par le rééquilibrage de l’activité entre la gestion du client demandeur d’emploi qui représente actuellement 90% de l’activité et la gestion du client entreprise, activité réduite à sa plus simple expression. Or, quel est le premier service à rendre par un conseiller lorsqu’il reçoit un demandeur d’emploi ? Lui proposer des offres d’emploi puisque, rappelons le, les activités de Pole emploi sont l’indemnisation et le placement…surtout le placement pour diminuer le volume des indemnisations.

Donc résumons-nous :

- une première série de sites mixtes par région fonctionnant réellement

- une reprise en main de la communication par le management au niveau de chaque région

- une mise à plat des organisations par décision unilatérale de la direction Pole emploi suite à l’allègement du suivi mensuel des demandeurs d’emploi afin que l’allègement génère une meilleure efficacité

- un rééquilibrage de l’activité entre la gestion du demandeur d’emploi et la recherche d’offres d’emploi

(aucune notion de chronologie dans cette liste)

CL: espérons que les décideurs prennent connaissance de ces préconisations! Un grand merci à toi Sabine pour avoir pris le temps de répondre, si pleinement et pertinemment, à mes questions.

* Pour raisons de confidentialités, Sabine est un nom d'emprunt. Toute coincidence avec une personne réelle serait erronée.

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1 Comments:

At September 28, 2009 at 12:18 PM , Anonymous Nicolas CAUMETTE said...

L'interview de Sabine est passionnante à plus d'un titre.

Elle illustre la complexité à conduire un tel chantier de fusion.

En même temps, elle nous ramène aux fondamentaux du changement :
- Implication
- Communication
- Démultiplication

La phase d'Implication consiste à mettre en place une équipe transversale, formée de collaborateurs convaincus et capables de proposer une vision claire du changement, soutenue par le haut management.

A défaut, ce sont les syndicats qui s'organisent et qui prennent la main en faisant feu de tout bois
Lorsque cela se produit, l'urgence est alors de reprendre en priorité le "lead" sur la communication et c'est ce que décrit parfaitement Sabine.

Reprendre le contrôle nécessite de créer une petite équipe soudée, suffisamment proche du "top management" pour être informée en temps réel, qui va être en mesure de communiquer AVANT les syndicats.

C'est également cette équipe qui va chercher à identifier les premiers succés du changement et les "champions" de la démarche, afin de nourrir la communication en relatant des expériences concrètes, les seules audibles sur le terrain(à condition qu'elles soient vraies).

La 3e phase de démultiplication pourra intervenir lorsque les avancées se multiplient sur le terrain et que le nombre d'indécis devient inférieur au nombre d'engagés.
La mission du noyau dur créé pour assurer la communication de crise peut alors être réorientée vers l'information des managers, afin qu'ils assurent le relais de la communication sur le terrain, avec leurs équipes.

 

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